Retour au Laos avec Au Revoir Pays

Je n’ai pas hésité une seconde quand j’ai reçu les invitations du collectif Bêtes sur la lune : une pièce de théâtre sur le Laos et l’histoire de ses populations qui fuirent le régime communiste à la fin des années 70 pour atterrir en France (entre autre), je ne pouvais pas la louper. Ceux qui me connaissent savent que j’ai une tendresse particulière pour ce petit pays d’Asie du sud est. Mon histoire personnelle et mon voyage au Laos ont laissé en moi un je ne sais quoi de nostalgique. Bref me voilà bien installé dans mon fauteuil avec le père Nico pour découvrir la première pièce autobiographique de Thiane Khamvongsa : Au revoir pays.



J’avoue avoir eu un peu de mal à rentrer dans la pièce. Nous sommes au Laos en 1975 au début du règne des communistes qui viennent tout juste de reprendre le pays aux américains et aux laos pro américains. Le temps est à la répression et aux camps d’emprisonnement. L’histoire est dure, violente, injuste… on crie, on souffre mais je n’arrive toujours pas à ressentir les choses comme j’aimerais. Les comédiens choisis par Thiane n’ont pas été choisi pour leurs origines asiatiques mais pour leur talent : ça n’aide pas forcément à bien rentrer dans l’histoire, mais comme elle le dit :  » c’est ça le théâtre ». On fait abstraction du décor et de la tête des comédiens pour « ressentir » l’histoire. Est ce que ça a marché pour moi ? vous le saurez à la fin (énorme suspense). Mention spéciale à la mise en scène : scènes de violence, de peur… notamment la scène de l’arrestation de la famille à la frontière thai, où tout le théâtre est utilisé. Bravo à Thiane et Sophie O’Byrne. Cette première partie c’est aussi l’occasion de découvrir le rôle moteur de la femme dans la famille asiatique : c’est elle qui décide alors qu’elle est enceinte, de quitter le pays. C’est encore elle qui va négocier la permission de son mari pour le faire évader. Elle mène la barque et Thiane incarne le rôle de sa propre mère à merveille avec cette volonté, cette force, cette détermination maternelle. Le fait qu’elle soit elle même maman n’y est sûrement pas étranger.

La petite famille finit par arriver en France et c’est là où j’ai commencé à vibrer. Ce qui ne parait pas illogique quand on sait que c’est à partir de ce moment là où les souvenirs et les sentiments de l’auteur nourrissent l’histoire et le jeu des comédiens. Intégration, identité, choc des cultures, l’administration, la langue… tout y est. Belle performance de la comédienne Charlotte Brédy en fonctionnaire de l’état pressée, qui essaye de rendre les choses sympa mais qui au final n’a pas le temps d’aider ces gens. C’est là aussi où j’ai retrouvé des souvenirs personnels avec une famille vietnamienne laotienne que j’ai bien connu. Et je peux vous dire que tout ce qui se passe dans la pièce, se passe quasiment à l’identique dans chaque famille réfugiée laotienne. Ce chemin, Vientiane – camp de réfugiés thai – France a été emprunté par des milliers de réfugiés. Dans ma ville natale à Rillieux (banlieue lyonnaise), nous avons une belle communauté vietnamienne laotienne. Nombre d’amis sont nés à Pakse ou Vientiane pour suivre le même chemin que Thiane (je suis de la même génération). J’ai toujours eu une admiration sans bornes pour ces couples qui ont pris la décision si douloureuse de tout quitter et de dire au revoir au pays. Tout quitter même leur statut social : à Rillieux les réfugiés ont eu des boulots difficiles (manutentions, bâtiment), qui n’avaient souvent rien à voir avec leur qualification. Ce qui donne une dimension encore plus grande à leur sacrifice : tout quitter pour donner une chance à leurs enfants. Une chance, que les enfants vont saisir. Ils vont devenir français jusque dans leurs mœurs. Et cette deuxième partie de pièce tourne beaucoup autour de ça : le fossé qui se creuse entre les enfants qui veulent vivre à la française (sorties, jupe pour les filles) et ces parents qui ne sont pas habitués ces « pratiques » qu’ils jugent incorrectes. Cette opposition est l’ultime épreuve pour les familles réfugiées : ne pas faire éclater la famille. Une opposition qu’il est peut être encore plus difficile à gérer pour les femmes : un garçon (dans n’importe quelle société d’ailleurs) aura toujours plus de liberté, une liberté qu’il pourra exercer pour plus facilement s’intégrer. Personnellement je crois qu’avec la maturité (la plupart de ces « enfants » ont maintenant la trentaine), malgré les difficultés de leur adolescence (et ces difficultés peuvent aller assez loin), ces enfants sont très fiers de leurs parents (à raison) et cette pièce de théâtre en est un témoignage direct. Thiane a fait passer le message à ses parents (qui ont vu la pièce) et parle au nom de toute cette génération de réfugiés laotiens, vietnamiens et cambodgiens qui maintenant qu’elle est « adulte » peut raconter ces incroyables histoires dramatiques et heureuses de leurs parents. Mais tout n’est pas si facile : impossible pour eux encore de reparler de cette période d’affrontement enfants/parents. Dans une culture où le silence est d’or, les nœuds se nouent facilement. Pour les dénouer, on peut peut être commencer par une pièce de théâtre. Mention spéciale (mince j’en suis à combien de mentions spéciales ?!) à Na Bi Shin : son rôle monte en puissance durant toute la pièce. Au début elle intervient peu, mais c’est elle (entre autre) qui donne une belle profondeur à la deuxième partie : elle joue donc le rôle de la fille (Manila) qui est écartelée entre sa nouvelle vie française et sa mère qui ne comprend pas sa métamorphose. Un rôle pas évident à tenir car il est nourrit par la vie personnelle de Thiane (l’auteur), qui joue le rôle de sa propre mère (oui je sais pas évident à suivre). Bluffant de sincérité. Cette petite est à surveiller. A titre personnel, je pense que cette pièce doit faire parti de notre patrimoine national : au même titre que la révolution française, cette Histoire a été vécu par bon nombre de personnes qui constituent la société française aujourd’hui. Journaliste à Calais d’origine cambodgienne, développeur informatique, auteur de pièce de théâtre, gérant d’agence web (n’est ce pas Thanh :)), marketing du luxe… ils nourrissent la société française de leur culture, de leur savoir et de leur histoire. J’ai eu la chance au lycée d’apprendre un peu l’Histoire de ces pays mais je ne suis pas sûr que ce soit la norme. Chers professeurs de lycée, emmenez donc vos classes découvrir ce petit bout d’Histoire de français. Du débat organisé ensuite par la Manufacture des Abesses, j’ai retenu une question du philosophe : jusqu’où sommes nous prêts à aller pour accepter  la différence de l’autre ? L’intégration, qui est à priori le mode le plus valorisant pour notre pays et les arrivants, doit elle permettre l’épanouissement de pratiques avec lesquelles nous ne sommes pas forcément d’accord ? est ce que l’assimilation, pratiquée aujourd’hui par le gouvernement, est la seule solution ? Un très vaste débat…

Ah je vous ai pas raconté la fin ? c’est normal, il faut que vous alliez voir cette pièce ! Mais quand vous la verrez, pensez à moi : j’ai vécu exactement la même scène que le personnage de Nathalie…

La compagnie a eu la bonne idée de faire une bande annonce, la voici :

La pièce se joue jusqu’au 31 octobre. Toutes les infos ici : Au revoir pays.