Il y a des jours comme ça.
« T’es dispo ce soir ? je peux pas aller au théâtre mais j’ai déjà acheté ma place. »
« Ben pourquoi pas, mais c’est pour voir quoi ? »
» Luchini »
» ok je prends »
» tu veux savoir le prix…? »
» Non c’est bon j’y vais ».
Me voilà donc ce soir au théâtre de l’Atelier (sur la célèbre rue D’ Orsel) pour retrouver Luchini, que j’ai déjà eu la chance de voir plusieurs fois et dont je ne me lasse pas. Ce soir là c’était pour une lecture de Muray. Alors inutile de le prononcer à l’américaine pour faire semblant de connaître, on dit Mûray et non pas Meuray ! Très clairement je ne connaissais pas.
Par contre comme je vous le disais, je connais un peu toute la vie que peut mettre dans n’importe quel texte, cette bête de scène qu’est Luchini. Et bien il ne m’a pas déçu. Alors bien sûr le problème avec Luchini c’est qu’il a ses groupiesdispersés dans la salle, installés devant bien sûr, mais il y en a aussi jusque dans les couloirs reculés de la salle. Et ce soir là il y en avait plein, notamment une juste devant qui n’a pas arrêté de la soirée : « mais quel talent! », « c’est époustouflant », « superbe », qui secouait la tête lorsque le « maître » partait dans ses tirades, l’air de dire : « non je prends trop de plaisir, c’est pas possible ». Usant. J’avais un peu l’impression de me faire voler mon rire. Passons. Vous retrouverez ici du grand Luchini : phrase répétée à l’infini avec intonations luchiniennes, digressions illuminées, Télérama, Céline, son notaire (maître Bonduel), la gauche, la droite, La Fontaine… et Muray. Muray qui est apparement pas le plus marrant des philosophes. Disparu brutalement en 2006, Muray était un écrivain « féroce » et Luchini incarne à merveille des textes très fin, ironiques, en avance sur leur temps. Muray, et avec lui Luchini, se battent contre cet Empire du Bien : marre de l’hyper festif, des intitulés des emplois jeunes de Martine Aubry qui ne veulent rien dire (accompagnateurs de randonnées, agents d’ambiance, facilitateurs en tout genre…), du sourire béat de Ségolène Royal, des rebelles salariés de France Inter, des débats à outrance sur tout et rien, des débats qui n’existent plus et Luchini de nous citer en exemple Paris Plage, la Gay Pride… L’infantéisme, la sacralisation de l’enfant, qui serait en fait une auto adoration… On rit beaucoup tout en nourrissant une réflexion assez profonde sur nous, notre société, notre mode de vie… le maître d’école Luchini a réussi son pari : nous donner envie de dévorer du Muray. Alors ne vous y trompez pas, Luchini est un spectacle à lui tout seul et il ne manquera pas une occasion de vous aérer le neurone : un peu de Johnny, un peu de Duras, de la caricature du rappeur (pas si réussie que ça)… On se fait plaisir. Et puis au cours de cette excellente soirée, le professeur Luchini (on aurait aimé avoir des profs comme lui tous les jours…) vous distille quelques petites phrases qui vous resteront, en voilà deux :
L’argent ne fait pas le bonheur, rendez le (Jules Renard)
Malheur à moi, je suis nuance (Nietzsche)
Cerise sur la soirée, avec Charlie et Douglas, mes acolytes du soir, nous sommes un peu restés sur la place devant le théâtre : débrief complet sur cet excellent moment que nous avions passé. La place se vide, nous décidions de partir mais quelqu’un me barrait le passage : c’était Luchini en train de rentrer chez lui. Mon réflexe (il en faut car tu n’y attends pas forcément) a été de le féliciter. Puis la discussion s’engagea. « Qu’avez vous aimé, qu’avez vous retenu, votre moment préféré, que faites vous dans la vie? ». C’était une vraie surprise pour moi de voir cette star des planches s’intéresser de la sorte à 3 « jeunes » (comparés à la salle nous étions jeunes) de son public. Charlie a eu la présence d’esprit de lui rappeler qu’il n’avait pas conclu sa lecteur par une phrase de Céline comme promis. A 23h et quelques, avec nous 3 comme seuls spectateurs, sur cette petite place, il nous fit le bonheur de nous réciter du Céline rien que pour nous. Merci Mr Luchini.