Sur le papier voici un duo magique : Daniel Auteuil et Molière. Dans mon imaginaire, ces deux artistes s’étaient croisés de nombreuses fois sur scène, tellement leurs univers me semblaient proche. Et pourtant ils ne sont croisés pas tant que ça : « Les Fourberies de Scapin » à Avignon en 1990 et « L’Ecole des femmes » au théâtre de l’Odéon en 2008. Quoi c’est tout ?! Et oui mais en 2019, nous sommes gâtés : Daniel et Jean-Baptiste sont de retour ensemble au théâtre de Paris.
D’autant que la collaboration est plus profonde cette fois-ci. Daniel Auteuil est le metteur en scène en plus d’incarner Argan. J’avais hâte dans mon petit fauteuil rouge que les rideaux se lèvent.
Entrée en scène
Je tenais à vous raconter les premières minutes de la pièce où Mr Auteuil marque tout de suite de son emprunte la pièce. Alors que la salle n’est pas encore éteinte, la petite Louison, interprétée ce soir là par Judith Berthelo (10 ans), sort du rideau, comme une irruption de la pièce dans notre petite vie de spectateur. Elle s’avance seule sur la scène. Par sa seule présence, le silence se fait dans la salle.
Puis elle chante a capella face à nous. Nous sommes saisis.
Nous découvrons alors le décor de ce Malade Imaginaire. Une grande salle orangée, où les biblos d’apothicaires et instruments bizarres s’accumulent avec les pots de chambres, où l’on étouffe un peu (à moins que ce soit dans la salle où on se demande si le théâtre de Paris ne veut pas se lancer dans une activité de sauna). Une grande salle où l’on comprends vite que le malade passe ses journées, entre lavements, visites de médecin et famille.
On découvre aussi les costumes très réussis de Charlotte Betaillole et notamment cette épaisse robe de chambre d’Argan, jaune, orangée, qu’il n’arrête pas de réajuster à son coup. On sent la fièvre, la peur d’avoir froid, la maladie.
Un partie prix : c’est une farce
Nous découvrons donc ce Malade Imaginaire. Le premier monologue d’Argan ne me met pas directement dans la pièce. J’attends un peu avant de me laisser emporter par le jeu d’Auteuil. On comprend vite que le metteur en scène classe clairement le Malade Imagine dans la farce et la comédie. Argan est un gentil.
Certes il tente d’imposer un mariage à sa fille en fonction de ses intérêts, il veut un médecin pour gendre, mais au final c’est lui la victime. Victime de sa propre « maladie », psychologique finalement et non physique qui le rend vulnérable aux charlatans en tout genre : médecins aux premiers chefs, que Molière dézingue à tout va, mais aussi sa femme, Béline.
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Coup de foudre pour Natalia Dontcheva
Parlons donc de Béline. Enfin je voulais plus vous parler de son interprète, Natalia Dontcheva. Mon inculture ne m’a jamais permis de croiser cette comédienne, ni à la télé ni sur scène. Mais je l’ai trouvé absolument fantastique dans ce rôle. Evidemment Béline n’est pas tout le temps présente dans la pièce, mais à chacune des apparitions de ce personnage qui tente d’arnaquer son mari, j’ai trouvé le jeu de l’actrice excellent.
Non vraiment bluffé. Nous avions sous les yeux Béline elle-même. Regard truculent, roublarde, aplomb, faussement intentionné auprès de son mari… absolument fan de Natalia Dontcheva !!
Toinette, la voix de Molière ?
Comme souvent dans les comédies de Molière, la servante est la voix de la raison. Toinette est donc incarnée par Aurore Auteuil, la fille de. L’idée est géniale : Toinette et Argan sont clairement les personnages principaux de la pièce, incarnés donc par le père et la fille.
J’ai trouvé Aurore Auteuil très convaincante apportant au personnage une sincérité certaine et bienveillante. Une bienveillance pour la fille d’Argan, Angélique (interprétée par une généreuse Victoire Bélézy) que pour Argan lui-même qu’elle malmène gentiment comme on pourrait malmener son papa quand on n’est pas d’accord avec lui.
D’ailleurs, en découvrant ce personnage de Toinette, j’avais l’impression d’entendre la voix de Molière lui-même, combattant les charlatans et intrigants qui entourent ce pauvre Malade Imaginaire.
Le duo Auteuil fonctionne très bien. Auteuil fille joue à merveille cette petite voix de la raison mais que dire d’Auteuil père. Quel plaisir de le voir incarner cet Argan un peu paumé, parfois rouge de colère face à cette Toinette qui ose tout (c’est même peut-être elle la véritable maîtresse de maison), gêné face à son médecin (« mais ce n’est pas moi, c’est mon frère »)… un régal de voir jouer ce monstre sacré.
Le génie de Molière
Justement Molière. Je ne crois pas avoir jamais vu le Malade Imaginaire. La dernière pièce de Molière, celle pendant laquelle il mourut sur scène à sa 4ème représentation le 17 février 1673. Et bien entendu à force d’entendre que Molière est un génie, on le sait. Mais quand vous le ressentez sur scène, c’est autre chose.
Le talent des comédiens, et surtout l’alchimie au sein de cette troupe et le travail de mise en scène réussissent à servir magnifiquement cette pièce qui 350 ans plus tard est d’une incroyable modernité. Cet humour, les charlatans de la médecine, la peur d’être malade… tout résonne en 2019.
Un auteur du XVIIème siècle a su coucher sur le papier quelque chose de tellement universel que près de 4 siècles plus tard, les mots nous touchent encore.
Comme un ultime hommage à Molière et au théâtre, la dernière scène efface le décor et mets toute la troupe d’Auteuil sous les feux de la rampe : on fait Argan médecin de pacotille, une sorte de médecin placebo, dans une cérémonie d’intronisation tout droit sortie de la comedia del arte.
Les faux médecins acceptent de porter leurs masques, aveux de charlatanisme, où toute la troupe s’unit autour de cet Argan, finalement heureux de cette intronisation, qu’il doit savoir factice mais qui lui fait plaisir. Et finalement n’est ce pas là la morale : trouver le moyen de s’accomplir, même dans nos psychoses sans gâcher la vie de ceux qui nous entourent ?
La lumière s’éteint, une émotion forte, puissante, m’envahit, une émotion qui n’a rien à voir avec le rire (et pourtant j’ai rit). L’impression d’avoir vécu un moment de théâtre inoubliable où des comédiens m’ont donné toute leur sincérité deux heures durant, une sincérité au service d’un génie du théâtre qui est mort il y a 346 ans.
[box title= »Infos » style= »default » box_color= »#dd3333″ title_color= »#FFFFFF » radius= »3″]«Le Malade imaginaire»
Théâtre de Paris (Twitter @theatre2paris )
15, rue Blanche 75009 Paris . Tél.: 01 48 74 25 37
Horaires: du mer. au sam. à 20 h 30 , sam. à 17 h, dim. à 15 h 30
Jusqu’à fin juin
Durée: 1 h 55. Places: de 28 à 73 €
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L’after
Comme parfois, nous avons eu la chance d’échanger avec les comédiens après la pièce. Toute la troupe au grand complet, Daniel Auteuil en tête qui vient nous saluer tout sourire. L’occasion pour moi de découvrir Béline sans ses artifices, c’est à dire Natalia Dontcheva.
On en apprend un peu plus. Il a fallu 5 mois de répétitions acharnées pour préparer cette pièce. Daniel Auteuil a préféré laisser son costume d’Argan le plus longtemps possible au placard pour gérer les répétitions et finalement s’imprégner des textes de chacun.
Si vous pensiez encore à l’image de Bébel des Sous-doués, le metteur en scène Auteuil parait être intraitable. « Il ne laisse rien passer » nous confiaient en coeur les comédiens « mais c’est toujours très juste ».
Alain Doutey, l’un des grands noms de l’affiche : « On fait un débrief tous les soirs de la pièce. C’est très rare. »
Et puis le metteur en scène de rajouter : « Oui mais attention je les attends pas avec 15 pages de notes. Je leur donne mes impressions, c’est tout. Je suis aussi acteur, je ne vais pas leur infliger ça. »
« Je ne cherche pas la vérité mais la sincérité chez les comédiens », explique Daniel Auteuil sur sa direction d’acteur.
Mais ce qui est évident, tant sur scène qu’en off, c’est que nous avons face à nous une véritable troupe de théâtre. On ressent cette formidable énergie qui unit ces comédiens qui font toute la magie d’un spectacle vivant comme une pièce de théâtre.
On ne peut s’empêcher de remarquer la joie dans les yeux de Daniel Auteuil quand les comédiens nous expliquent avoir le sentiment d’appartenir aujourd’hui à une vraie troupe de théâtre.