COUP DE CŒUR : MOBY DICK DE HERMAN MELVILLE AU THÉÂTRE DU VOYAGEUR

Quelle folie, quelle audace, quel courage faut-il aujourd’hui pour monter un cycle consacré à Herman Melville ! Chantal Mélior, la metteuse en scène (et directrice du lieu) en a certainement une bonne dose pour se lancer dans une telle gageure ! C’est un  travail colossal qui nous est présenté au Théâtre du Voyageur et qui mérite qu’on en parle ! Car comment adapter ce « roman-baleine » (comme le dit très justement François Louis, l’assistant metteur en scène et l’interprète d’Achab dans une interview) ? Eh bien, la metteuse en scène a choisi de le diviser en 4 épisodes de 2h environ:

1/Assez pleurniché ! 2/ Baleine à plume. 3/ Pippin tombe à l’eau 4/ Lignes de Fuite.

Je n’ai pu assister malheureusement qu’au quatrième et dernier volet de cette tétralogie (chaque volet étant une porte d’entrée dans l’œuvre de Melville, ils peuvent se voir néanmoins indépendamment).

Niché en plein cœur de la gare d’Asnières-Sur-Seine, à 10 min à peine de la gare Saint-Lazare, sur le quai D se dresse ce théâtre assez inclassable. On pourrait le rapprocher peut-être du Théâtre du Soleil par son engagement à faire des spectacles-fleuves dans un esprit de troupe avec des comédiens qui s’investissent pleinement (notons la décoration (comme Mnouchkine) du bâtiment où le célèbre cachalot est peint sur la façade). On ne peut que regretter que ce lieu bénéficie de très peu de soutien institutionnel ni de grande communication (des milliers de voyageurs passent devant ce lieu sans se douter de rien !).

A l’heure où j’écris cet article, se joue malheureusement la dernière de ce formidable spectacle. J’espère vivement qu’il sera repris tant sa force, son sujet, mérite des salles pleines ! Un des meilleurs spectacles de cette saison qui passe presque inaperçu ! Quel dommage !

L’histoire est celle d’Ishmaël, le narrateur, qui attiré par la mer décide de partir à la chasse à la baleine. Il embarque sur le Péquod, baleinier commandé par le capitaine Achab. Ismaël se rend vite compte que le bateau ne chasse pas uniquement pour alimenter le marché de la baleine. Achab recherche Moby Dick, un cachalot blanc particulièrement féroce et d’une taille impressionnante, qui lui a arraché une jambe par le passé. Achab emmène son équipage à la poursuite du cachalot dans un désir impitoyable de vengeance. Le Péquod finira par sombrer en laissant Ismaël seul survivant, flottant sur un cercueil.

Ecrit en 1851, ce livre est souvent considéré comme l’emblème du romantisme américain.

Dans cette adaptation théâtrale, on retrouve parfaitement le récit d’aventure, le langage stylisé poétique, symbolique, philosophique et métaphorique de Melville. On est plongé dans des thèmes complexes : l’ orgueil, la vengeance, la folie, le sacrifice, le rapport à l’animal, la symbolique (Melville s’étant inspiré de la bible pour écrire ses personnages) la lutte entre Achab  et Moby Dick symbolisant celle du Bien contre le Mal. Lesquels évidement diffèrent selon que l’on se place du point de vue du capitaine ou du cachalot. L’orgueil du capitaine joué par François Louis a des airs shakespeariens. On pense à la silhouette et à la folie de Richard III, dans sa folie de vengeance et dans son corps mutilé.

Son obsession est féroce et il ne reculera devant aucun obstacle malgré les demandes de son équipage qui l’appelle à la raison. Grâce à une mise en scène maîtrisée, réfléchie et très astucieuse, on est happé par l’intrigue et on ressent tout : le vent, la mer houleuse, la fatigue et la souffrance des marins, la crainte du naufrage… Il s’en faut de peu pour qu’on ait le mal de mer. La distribution est parfaite à l’instar de l’excellent François Louis en capitaine Achab. Notons les très belles apparitions d’Ariane Lagneau et de Sandrine Baumajs qui allègent, d’un fin dosage d’humour, l’ambiance sombre et angoissante du Péquod.

Enfin, félicitons aussi toute la partie technique ! Les créations lumières, musicales ainsi que les costumes, les maquillages et les décors sont tous à l’unisson pour mettre en valeur le jeu des comédiens et le texte de l’auteur. Tout est sobre et pertinent, rien n’est gratuit.

Malgré des moyens financiers limités, on ne peut que saluer tous les acteurs de ce spectacle tant ils ont su trouver des astuces qui nous font aimer davantage le théâtre tant ils lui rendent service et honneur.

Bravo à eux !

THÉÂTRE DU VOYAGEUR 

Du 21 mars au 8 avril 2018

D’après le roman d’Herman Melville

Mise en scène Chantal MELIOR
Assistant mise en scène  François LOUIS

Interprètes 
Nabila ATTMANE, Sandrine BAUMAJS, 
Véronique BLASEK, Olivier COURTEMANCHE, 
Marc DUMONTIER, Thibault DUVAL, 
Ariane LACQUEMENT, Ariane LAGNEAU, 
François LOUIS, Mathieu MOTTET, 
Fabrice TANGUY.

Chant Nabila ATTMANE
Collaboration musicale et littéraire, 
piano Carol LIPKIND

Collaboration Artistique Zette CAZALAS
Lumières Michel CHAUVOT
Décors Marine PORQUE
Assistée de Elodie BIANCONI et Aurélia PERON

 

Sarah Nô

Un commentaire

  1. Je tombe par hasard sur ce billet… Merci beaucoup pour votre soutien. Nous rejouerons Melville (Bartleby) au printemps 2020.

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