ELLE de Jean Genet à l’Athénée

En cette saison où le théâtre du XXe siècle a complètement disparu de la programmation des scènes nationales de la Colline et de l’Odéon, réjouissons nous que l’Athénée continue de défendre ce répertoire en programmant Elle, une pièce méconnue de Jean Genet, publiée de façon posthume et créée par Maria Casarès en 1989. écrite en 1955, entre Le Balcon et Les Nègres, Elle est moins un texte inachevé (puisqu’il n’y manque qu’une tirade) qu’un texte non assumé, de même que son Splendid’s que l’on a pu voir il y a deux ans à la Colline. Elle « était peut-être non pas trop scandaleuse mais trop insaisissable », comme le suggère Lola Gruber dans le dépliant du spectacle. à moins que Genet n’ait pas été totalement satisfait de son œuvre ou qu’il n’ait pas réussi à développer comme espéré son thème de départ : une séance de pose de sa sainteté le Pape (« Elle ») devant un appareil photographique, afin de réaliser un cliché devant répandre son image aux quatre coins du monde.

Athenee

L’impression qui domine à l’issue du spectacle est pourtant celle d’une pièce fragmentaire, que le quatuor de comédiens argentins réunis par Alfredo Arias (qui incarne le Pape) réussit à étendre jusqu’à la faire durer un peu moins d’une heure. Afin de nous offrir un spectacle plus consistant, Arias a ajouté un prologue où Marco Montes met beaucoup d’entrain à nous livrer un passage de Juliette et le Pape du Marquis de Sade, tandis que pour conclure Alejandra Radano récite avec autant de conviction que d’emphase le poème A un Pape de Pasolini. Ces deux ajouts peuvent laisser dubitatif tant ils orientent le tout vers la charge anticléricale, qui semble bien éloignée de l’intention première de Genet et ne rend pas forcément service à un texte bien moins subtil et abouti que Haute Surveillance ou Les Bonnes.

Arias a su néanmoins unifier son triptyque par une très forte cohérence visuelle, qui rappelle le surréalisme des années 30 et notamment certains personnages mystérieux de Magritte ou quelques toiles plus mystiques de Dali. Plusieurs éléments de Elle, comme le goût du cérémonial, le fétichisme de l’objet ou encore le questionnement sur la véracité de l’image et le processus de représentation, rendent cette orientation tout à fait pertinente. Le jeu maniéré des comédiens et leur accent argentin assez prononcé participent pleinement de ce parti pris antinaturaliste. On conseillera donc vivement ce spectacle aux initiés de l’univers toujours haut en couleurs d’Alfredo Arias. Les non initiés risqueront peut-être de s’y sentir un peu seuls, tel un païen perdu dans un public de convertis. Pour les novices qui souhaiteraient découvrir le théâtre si puissant et magistral de Jean Genet, il serait sans doute plus prudent d’attendre un prochain pèlerinage.

THÉÂTRE DE L’ ATHÉNÉE- LOUIS JOUVET

du 7 au 24 mars

texte Jean Genet
mise en scène Alfredo Arias

avec Alfredo AriasMarcos MontesAdriana PeguerolesAlejandra Radano

 

 

utamaro