Rencontre avec Juliette Speranza, auteur talentueux et engagé

Catherine Mignot nous propose une interview de Juliette Speranza, auteur talentueux et engagé.

Un sans-papiers. Une femme qui l’aime. Des militants qui veulent l’aider. Un ponte hypocrite. Et surtout, surtout, la sublime langue de Juliette Speranza. « Ils étaient 29000 », récemment publié chez Alna, un texte violent et magnifique, tragique et moderne. A lire absolument. Rencontre avec une des plus belles plumes de notre temps.

Juliette Speranza, y avait-il urgence, selon vous, à écrire ce texte?

JS: Ce que je peux dire, c’est que j’en ai moi-même ressenti l’urgence. Les mots bouillonnaient, en moi, et ne demandaient qu’à sortir. Et puis, il a une urgence évidente, à parler de tous ces gens qu’on laisse crever dans leur misère. Ou pire, qu’on envoie crever par milliers!

29000, c’est le nombre de sans papiers expulsés l’an passé. Pensez vous pouvoir, au prisme de l’actualité, prédire de 2011?

JS: Rien n’est malheureusement venu éclairer la réflexion très pauvre de notre gouvernement en matière d’immigration. La récente intervention de Nicolas Sarkozy le prouve. Lorsqu’il évoque les révolutions du Maghreb et du Moyen-Orient, c’est pour effrayer les français tout en annonçant qu’il va durcir sa politique d’immigration. Les droits de l’homme ne sont évoqués que pour justifier un « droit d’ingérence » qui permettrait d’asseoir notre supériorité. Quand il s’agit de familles à protéger (bien souvent aussi, de travailleurs) ou dans d’autres cas d’encourager un mouvement plein d’avenir, le président brandit la menace de flux migratoires incontrôlables. C’est désolant.

A la lecture de votre texte, pourtant poétique et fictif, le drame que vivent ces sans-papiers devient plus évident. C’était votre volonté?

JS: Bien sûr! Enfin, j’écris plutôt par pulsion, les mots sortent d’une manière irraisonné… Cependant, il y a, en même temps, indéniablement, dans l’écriture de ce texte, une volonté de montrer, tout simplement, ce que chacun de nous cautionne.

Mais comment toucher le lecteur -ou le spectateur- par le biais d’une fiction?

JS: Je ne sais pas si je touche tous les lecteurs et les spectateurs. Mais je pense que si je touche certaines personnes c’est uniquement parce que les choses que j’écris me font mal, me submergent, et que je suis sincère.

Qui vous ressemble, dans « Ils étaient 29000 »?

JS: Tous les personnages! N’oublions pas « Madame Bovary, c’est moi! ». André dans l’expression de son amour pour sa famille, dans son désespoir, Jeanne dans sa colère et sa passion, le gardien dans sa résignation, les militants dans leur désir de changer le monde et cette peur des hommes et d’eux même…

Votre écriture est très forte, remplie d’images. Comment comptez vous mettre cela en scène?

JS: Je ne suis pas metteuse en scène, simplement auteure. J’ai eu la chance de rencontrer une formidable metteuse en scène, Sylvie Ottin, qui va mettre en scène ce texte. C’est une personne humainement très riche et une artiste dont les idées sont plus étonnantes les unes que les autres. Son casting est d’ailleurs, à mon avis, très prometteur.

Aurez vous votre mot à dire pour cette nouvelle mise en scène?

JS: Non, de la même manière qu’Hélène Darche s’est (avec brio!) emparée de « Les hommes ne veulent plus mourir », je fais totalement confiance à Sylvie Ottin pour faire un beau travail, qui lui sera propre, à partir d’ « Ils étaient 29000 ».

Quels conseils pourriez vous donner à des jeunes (ou des moins jeunes) attirés par l’écriture dramatique?

JS: … Veiller à dévoiler les choses sans les expliquer, toujours se laisser surprendre par la poésie et la musique des mots…Mais j’ai encore moi-même tellement à apprendre!


Catherine Mignot

passion theatre